«Je ne mérite pas ce prix, mais je souffre d’arthrite et je ne mérite pas ça non plus». C’est avec ces bons mots de Jack Benny (pionnier de la blague à la radio US et vu dans To be or not to be de Lubitsch) que l’acteur, scénariste et humoriste Steve Martin a accepté le 43ème trophée remis par l’American Film Institute. L’AFI Life Achievement Award est l’un des trophées honorifiques les plus prestigieux de l’industrie cinématographique en Amérique. Dans ces premières années, ce sont des pionniers du 7ème Art qui ont été honorés (liste complète en fin d’article) et après Mel Brooks en 2013 qui lui a remis le prix cette année, c’est un autre roi de la comédie qui a été honoré mais le premier à avoir fait ses débuts dans le stand-up, une étape de sa carrière qu’il évoque avec drôlerie et nostalgie dans le livre « Ma vie de comique. Du stand-up au Saturday Night Live » (édité en France par Capricci) où il raconte notamment que l’un de ses buts majeurs de sa vie était de plaire à son père, un combat perdu d’avance selon ses propres mots.
Ce mardi 2 juin il a reçu son prix en présence de grands noms qui ont parfois travaillé avec lui pour un hommage plus hilarant qu’émouvant même si de l’émotion, il y en eu. Mais moins que les blagues. On ne se refait pas… Après l’introduction de Jack Black qui a repris la Thermos Song du film Un vrai schnock (The Jerk) et la valse de compliments prononcés par ses pairs Sarah Silverman, Carl Reiner, Tina Fey («Je me souviens de la première fois que j’ai vu un film de Steve, c’était dans l’avion qui m’a menée ici. Et dans la partie que j’ai regardé avant qu’on me serve mon biscuit, Queen Latifah était vraiment très drôle»), Amy Poehler, Dan Aykroyd qui lui attribue la paternité des Blues Brothers, Lily Tomlin, Martin Short (à nouveau un très grand numéro) ou Steve Carell, Steve Martin a feint de s’interroger : «Comment pourrais-je faire mieux que ces stars qui ont été si drôles ?» avant de répondre innocemment : «C’est un jeu d’enfant».
Il a remercié notamment Lorne Michael, le producteur du Saturday Night Live, en disant «c’est grâce à lui que je suis là ce soir, Lorne, merci de m’avoir conduit ici en voiture». Il évoque une menace maladroite de Diane Keaton sur le tournage du film Le Père de la mariée alors qu’elle tentait de regarder le procès de O.J. Simpson et que lui-même et Martin Short faisaient les crétins derrière elle : «If you two don’t shut up, I’m going to blow you! » (traduire tue la blague, débrouillez-vous avec ça) ce à quoi Martin Short a répondu : «Diane, tu n’es vraiment pas douée pour proférer des menaces».
Son amour du banjo a été source de blagues et de clins d’oeil dont une remarque inspirée de Martin Short particulièrement en verve : «Traîner avec Steve Martin, c’est comme le film Délivrance. On s’amuse, tout se passe bien et alors on sort le banjo…». Pas avare en traits d’esprit, son comparse de Trois Amigos a apporté un éclairage précieux sur la longévité de Steve Martin : «Lorsque l’on me demande comment [la] reproduire, ma réponse est simple : il faut essayer d’avoir l’air d’avoir soixante-dix ans lorsqu’on en à peine trente». Il lui avait déjà rendu hommage lorsqu’il avait reçu un Oscar d’honneur, voir la vidéo intégrale ci-dessous, proprement hilarante.
Autre invité l’animateur-humoriste Conan O’Brien : «J’ai rencontré Steve quand j’étais auteur pour le Saturday Night Live et je n’oublierai jamais les premiers mots qu’il a prononcés lorsqu’il s’est adressé à moi pour la première fois : ‘j’avais dit un déca !’ Il s’éloigna en me poussant brutalement et en ajoutant ‘écartez-vous de mon chemin, madame’. Je sus alors que nous deviendrions amis 18 ans plus tard» […] «S’il existait un Mont Rushmore de la comédie, je laisserais volontiers le visage de Steve Martin être gravé à côté du mien et de ceux de Rob Schneider et Teddy Roosevelt, ce serait fantastique».
Lily Tomlin évoqua elle leur partage de corps sur Solo pour deux : «On me demande souvent -en fait, non, ça n’arrive jamais mais c’est une excellente transition- ça fait quoi d’être dans la tête de Steve ?».
Steve Carell s’est auto-flagellé avec enthousiasme : «On dit que l’imitation est la forme la plus sincère du plagiat. Je dois avouer que j’ai passé la plus grande partie de ma vie à être une pâle imitation de Steve Martin et je lui en veux beaucoup pour ça. Un drôle de schnock racontait l’histoire d’un homme-enfant maladroit qui finit par trouver sa moitié. J’ai volé cette idée et c’est devenu 40 ans toujours puceau… Et Roxanne a en gros donné Foxcatcher.»
Steve Martin, né en 1945, n’a jamais nommé aux Oscars mais a présenté la cérémonie à trois reprises et reçu un Oscar pour l’ensemble de sa carrière en 2013. Révélé sur scène et devenu populaire grâce à l’émission Saturday Night Live au milieu des années 70, il a connu une très belle carrière dans certaines des meilleures comédies des années 80 même si l’on ne peut s’empêcher de penser que son génie a parfois été sous-exploité. Il est scénariste et interprète des films suivants, entre autres : The Absent-Minded Waiter, court-métrage de Carl Gottlieb nommé aux Oscars, le cultissime Trois amigos ! de John Landis, avec Martin Short et Chevy Chase, Roxanne de Fred Schepisi, librement inspiré de Cyrano de Bergerac (avec Daryl Hannah dans le rôle-titre) et qui lui permet de remporter l’une de ses cinq citations aux Golden Globes, le trop méconnu et touchant Los Angeles Story de Mick Jackson où il a cette belle réplique: «elle n’est pas jeune, elle aura 25 ans dans sept ans», Bowfinger, roi de Hollywood de Frank Oz où il offre un double rôle brillant à un autre géant du rire, Eddie Murphy, ou encore le drame romantique Shopgirl d’après son propre roman, avec Claire Danes. On lui pardonnera aisément les deux adaptations de La Panthère rose où il reprend le rôle de Clouseau.
Quatre de ses meilleures expériences en tant qu’auteur et interprète furent les films où il fut dirigé par Carl Reiner : Un vrai schnock (ses débuts) en sympathique idiot du village, L’Homme aux deux cerveaux avec Kathleen Turner, Solo pour deux où il partage son corps avec Lily Tomlin et Les Cadavres ne portent pas de costard, excellent exercice de montage qui lui permet de donner la réplique à de grandes légendes hollywoodiennes à travers des prestations dans des classiques du cinéma. Il croise ainsi Humphrey Bogart, Alan Ladd, Barbara Stanwyck, Ava Gardner, Burt Lancaster, Cary Grant, Ingrid Bergman, Bette Davis et bien d’autres. John Landis avec la série Dream On ou Michel Hazanavicius avec ses propres pastiches s’en souviendront.
Il est seulement acteur (génial, toujours) dans des comédies burlesques ou romantiques dont plusieurs réalisées par Frank Oz, La Petite boutique des horreurs en dentiste rock’n’roll, Le Plus escroc des deux où il rivalise avec Michael Caine, Fais comme chez toi avec Goldie Hawn qu’il retrouve sur Escapade à New-York et on le voit encore dans Les Looney Tunes passent à l’action de Joe Dante ainsi que deux diptyques de qualité inégale, l’un où il est Le Père de la mariée Kimberly Williams et l’autre en père de familles nombreuses dans Treize à la douzaine.
Plus récemment dans Pas si simple, il forme un duo étonnant avec Meryl Streep et Alec Baldwin avec qui il présentera les Oscars la même année et qu’il retrouvera pour un épisode de 30 Rock. Il apparaît aussi dans des films plus dramatiques, un registre où il excelle également comme le prouvent Tout l’or du ciel de Herbert Ross, Portrait craché d’une famille modèle de Ron Howard, Grand Canyon de Lawrence Kasdan, La Prisonnière espagnole de David Mamet où il est particulièrement monstrueux et Joe Gould’s secret de Stanley Tucci. Son film préféré est certainement Un ticket pour deux de John Hughes où il passe Thanksgiving avec John Candy qui était l’un de ses plus proches amis. Il est aussi un grand amateur de banjos comme le prouve cette vidéo choquante à découvrir avec ce lien où il rend hommage à Délivrance avec une grenouille.
Steve Martin a également remporté un Emmy Award en tant qu’auteur à la fin des années 60, cinq Grammy (deux en tant qu’humoriste, trois pour sa musique dont une pour l’album The Crow: New Songs for the 5-String Banjo, tout un programme) et un trophée honorifique du Kennedy Center Honor, autre prestigieux trophée honorifique de la culture américaine. Il a récemment lancé une comédie musicale « Bright Star », créée avec le compositeur Edie Brickell avec lequel il a remporté un Grammy pour la chanson « Love Has Come For You ». Après une absence de plusieurs années sur le grand écran (rien depuis La Panthère Rose 2 en 2009), il est attendu dans Magic Camp dont il est l’auteur et où il serait un banquier qui retournerait dans un camp de magie pour gagner le prix qui lui avait échappé à l’enfance.
Les précédents lauréats :
1973 John Ford
1974 James Cagney
1975 Orson Welles
1976 William Wyler
1977 Bette Davis
1978 Henry Fonda
1979 Alfred Hitchcock
1980 James Stewart
1981 Fred Astaire
1982 Frank Capra
1983 John Huston
1984 Lillian Gish
1985 Gene Kelly
1986 Billy Wilder
1987 Barbara Stanwyck
1988 Jack Lemmon
1989 Gregory Peck
1990 David Lean
1991 Kirk Douglas
1992 Sidney Poitier
1993 Elizabeth Taylor
1994 Jack Nicholson
1995 Steven Spielberg
1996 Clint Eastwood
1997 Martin Scorsese
1998 Robert Wise
1999 Dustin Hoffman
2000 Harrison Ford
2001 Barbra Streisand
2002 Tom Hanks
2003 Robert De Niro
2004 Meryl Streep
2005 George Lucas
2006 Sean Connery
2007 Al Pacino
2008 Warren Beatty
2009 Michael Douglas
2010 Mike Nichols
2011 Morgan Freeman
2012 Shirley MacLaine
2013 Mel Brooks
2014 Jane Fonda
La cérémonie sera diffusé le samedi 13 juin sur la chaîne TBS. En attendant de poster des extraits live de cette soirée, voici quelques unes de ses apparitions lors de celles qui ont honoré les carrières de Gene Kelly (revisitant pour ce dernier à sa manière pour la moins approximative une scène mythique de l’histoire du cinéma, jusqu’à la présence d’un lampadaire dans une scène), Jack Lemmon (s’attribuant le mérite de son casting dans Certains l’aiment chaud) ou Tom Hanks.