Royaume-Uni, France, Belgique, 2014
Titre original : Suite française
Réalisateur : Saul Dibb
Scénario : Saul Dibb et Matt Charman, d’après le roman de Irène Némirovsky
Acteurs : Michelle Williams, Kristin Scott Thomas, Matthias Schoenaerts
Distribution : UGC Distribution
Durée : 1h46
Genre : Drame historique
Date de sortie : 1er avril 2015
Note : 3/5
Pendant l’Occupation, chaque Français était au moins dans l’âme un résistant. Ce mythe patriotique est toujours présent dans la conscience collective, principalement parce qu’il est plus valorisant de se situer parmi les vainqueurs héroïques que de devoir admettre que les collaborateurs ne manquaient pas pour faciliter la tâche de l’occupant. Côté cinéma, cette partie de la représentation historique nous paraît particulièrement dépassée par rapport aux efforts fournis dans d’autres domaines, notamment littéraires. Car parmi les films qui nous viennent immédiatement à l’esprit pour évoquer cette période sombre de l’Histoire française, L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville et Monsieur Batignole de Gérard Jugnot colportent – toutes proportions de qualité cinématographique gardées – à peu de choses près la même image d’Epinal des citoyens courageux, qui s’insurgeaient clandestinement et avec plus ou moins de violence contre l’administration de l’ennemi allemand. Pendant la première heure, cette coproduction européenne dresse un portrait sensiblement moins complaisant de la campagne française par temps de guerre, avant de rentrer in extremis dans le rang de l’épopée idéalisée aux valeurs héroïques tout de suite moins intéressantes.
Synopsis : En juin 1940, la jeune mariée Lucile Angellier attend chez sa belle-mère le retour de son époux parti au front. Elle ne se sent point à l’aise dans ce cadre provincial, où elle doit assister sa belle-mère sévère dans la récupération du loyer auprès des paysans métayers. La débâcle et l’afflux massif de réfugiés parisiens dans le petit village de Bussy rendent la situation encore plus insoutenable. Peu de temps après, les troupes nazies s’y installent, tout en obligeant les habitants d’accueillir des officiers chez eux. Le lieutenant Bruno von Falk élit son domicile dans la demeure des Angellier. Tandis que sa belle mère reste aussi hostile que possible envers son hôte, Lucile ne tarde pas à tomber sous le charme de cet homme droit et mélomane.
La mise à l’épreuve de l’homme par la guerre
« Un village français » sous l’emprise de l’armée allemande pendant la Deuxième guerre mondiale, ce microcosme du conflit historique s’invite depuis quelques années déjà à intervalles réguliers chez les téléspectateurs français par le biais d’une série à succès sur France 3. L’approche de Suite française n’est guère différente, puisque l’intrigue se focalise rapidement sur les réactions diverses des villageois face au changement de donne profond après l’arrivée des soldats et des tanks allemands. Elle y procède sans manichéisme, mais sans embellissement non plus, à l’exception notable du volet romantique du scénario. Or, l’aspect peut-être le plus intriguant du troisième film de Saul Dibb est justement sa faculté téméraire de tenter le grand écart entre la tragédie de guerre et l’histoire à l’eau de rose et son exploit notable de s’en sortir à peu près indemne. Ni l’une, ni l’autre ne sont tout à fait exemptes de clichés. Et pourtant, la narration s’accommode plus que convenablement de ces ingrédients pour aboutir à ce constat assez nuancé, quoique nullement original : dans des situations de crise, tout le monde cherche essentiellement à sauver sa peau et sa santé mentale, alors que les repères du monde d’antan s’écroulent avec fracas.
En l’absence des hommes, les femmes s’affichent
Au cœur de cette tempête d’abord sourde, puis de plus en plus bruyante, se trouve le personnage principal interprété avec sa grâce habituelle par Michelle Williams. Cette femme n’a initialement rien d’un battant. Elle subit en silence une existence qu’elle conçoit comme une parenthèse déplaisante. Pour Lucile, chaque jour s’apparente à une guerre personnelle contre sa belle-mère acariâtre, qui ne cesse pas de lui montrer à quel point elle est indigne de son fils et de son portefeuille de fermes en métayage. Cet aspect archaïque de la culture paysanne en France est d’ailleurs décrit avec une certaine dureté et une aspiration au réalisme historique qui ne font que renforcer le sérieux du film dans son ensemble. Bref, cette belle-fille modèle ne se sent pas à sa place, jusqu’à ce qu’un simulacre de prince charmant en l’uniforme de la Wehrmacht vienne ressusciter sa sensibilité musicale et ses pulsions érotiques. Que cet éveil à l’amour se solde par un dilemme encore plus grave qu’un quotidien morne et ingrat va de soi. C’est seulement dommage que l’ultime revirement majeur de l’histoire, environ une demi-heure avant la fin, abandonne largement le ton nuancé pratiqué jusque-là, pour recourir à la trame plus conventionnelle de la chasse à l’homme.
Conclusion
A mi-chemin entre le cours d’Histoire ludique et l’épopée romantique à faire pleurer dans les chaumières, Suite française surprend agréablement par sa démarche très faiblement mélodramatique. Porté par une interprétation solide – aux côtés de Williams, Kristin Scott Thomas reste hélas abonnée aux rôles de harpies, ici au moins avec un cœur d’or, et Matthias Schoenaerts est plutôt convaincant dans l’emploi du jeune premier tiraillé entre le devoir et la passion –, il constitue une plongée discrètement édifiante dans un chapitre de l’Histoire que le peuple français, voire les Européens en général, sont loin d’avoir clos définitivement.