Sans pitié
Corée du Sud, 2017
Titre original : Bulhandang
Réalisateur : Byun Sung-hyun
Scénario : Byun Sung-hyun et Kim Min-soo
Acteurs : Sul Kyung-gu, Yim Si-wan, Kim Hie-won, Jeon Hye-jin
Distribution : ARP Sélection
Durée : 2h01
Genre : Gangster
Date de sortie : 28 juin 2017
Note : 3/5
L’engouement de moins en moins réservé de la part du public français pour le cinéma asiatique, que l’on peut observer ces dernières années, se base essentiellement sur deux piliers : d’un côté la reconnaissance d’auteurs confirmés, qui s’appelaient autrefois Akira Kurosawa ou Yasujiro Ozu et qui portent de nos jours les noms de Kiyoshi Kurosawa et de Hong Sang-soo par exemple, et de l’autre une incroyable vitalité en termes de cinéma de genre, qui va du film d’horreur jusqu’au thriller au sens large, y compris le policier et le film de gangster, en passant par le film de baston, désigné également par le terme plus sophistiqué de film d’arts martiaux. Sans pitié appartient clairement à la deuxième catégorie de bonnes surprises asiatiques. Il s’y inscrit en étant fidèle à la lignée de films de genre qui remonte jusqu’à Infernal affairs de Andrew Lau et Alan Mak, sorti il y a treize ans, et au delà, ainsi que grâce à son ingéniosité narrative pour tenir en haleine le spectateur. Toutefois – et c’est au plus tard à ce moment-là que nous donnons entièrement raison à vos protestations aussi hypothétiques que virtuelles que nous venons de faire preuve d’une attitude hautement réductrice et ignorante en considérant le cinéma venu d’Asie comme un seul bloc homogène –, il lui manque cette petite touche de coloris coréen, cette nuance de personnalité, qui en ferait plus que la somme prodigieuse et calculée jusqu’au moindre détail d’influences multiples, venues d’un peu partout du contient asiatique.
Synopsis : Le dealer Han Jae-ho occupe un poste clef en prison, puisqu’il y contrôle le trafic de cigarettes. Il est interpellé par le comportement d’un autre détenu, le nouveau venu Jo Hyun-su, une véritable tête brûlée dont le caractère insolite et solitaire provoque la sympathie de son aîné. Quand le statut derrière les barreaux de Jae-ho est mis en danger, Hyun-su lui vient en aide, sans rien demander en échange. A sa sortie de prison, il est pris sous l’aile du caïd. Or, la complicité apparente des deux hommes cache de moins en moins bien une lutte de pouvoir machiavélique.
Tofu et burger
Le mélange, parfois hétéroclite, parfois percutant, est le maître-mot du troisième long-métrage du jeune réalisateur Byun Sung-hyun. S’y croisent et s’entrechoquent des références allant de Johnnie To jusqu’à Quentin Tarantino, indubitablement le pape stylistique de cette génération émergente de cinéastes. Les codes du film de gangster y trouvent alors une nouvelle jeunesse, certes, mais au prix d’un mécanisme de la manipulation dont les rouages se voient un peu trop souvent. De par sa structure dramatique profondément morcelée, avec un va-et-vient constant sur l’axe temporel à la fois propice à la perte des repères et à l’orchestration savante d’un suspense redoutable, le récit s’emploie simultanément à nous en mettre plein les yeux et les méninges, à force d’obliger le spectateur à rassembler différemment les pièces du puzzle, et à courir le risque réel de n’être qu’un simple exercice de style. L’exploit formel de la mise en scène, d’agencer sans le moindre temps mort l’intrigue de haut vol, a un peu trop tendance à attirer l’attention à lui, plutôt que de laisser se développer d’une façon tant soit peu organique la tension inhérente à l’univers carcéral dans un premier temps, puis à celui des grandes manœuvres clandestines pour déplacer la drogue à l’international et duper la police par la même occasion.
Gifler avec les poings serrés
Au sein de cette agitation permanente, véhiculée efficacement par le montage et la photographie de toute beauté, la relation ambiguë entre les deux personnages principaux mérite amplement qu’on s’y attarde un peu. A première vue, Han Jae-ho, le vieux renard du crime organisé, entretient un lien quasiment paternel avec Jo Hyun-su, la petite frappe irrévérencieuse qui paraît plus tenir à sa mère souffrante qu’au respect de quelque règle de conduite que ce soit. Il est régulièrement question de confiance entre ces deux hommes aux rapports de complémentarité troubles, sauf que le but principal du scénario consiste justement à saboter à tout prix le moindre rapprochement sincère. Grâce à l’interprétation subtile de Sul Kyung-gu dans le rôle de la figure paternelle malgré elle, consciente des risques qu’elle prend en acceptant son jeune ami comme son bras droit, et de Yim Si-wan dans celui de l’idéaliste maintes fois déçu, qui sera pourtant le dernier à tirer son épingle du jeu, bien entendu sans valeur de rédemption aucune, l’équilibre plus que précaire entre ces deux stratèges suprêmes finit par devenir plus fascinante que la révélation au compte-gouttes des informations sur leurs véritables motivations. Le véritable enjeu dramatique, voire tragique, du film se situe par conséquent dans la symbiose hors d’atteinte entre ces deux individualistes bornés, qui auraient pu former un duo de choc, si seulement ils avaient pu s’affranchir de leur vocation indélébile de pion sur l’échiquier d’une violence aveugle.
Conclusion
Et une petite pépite supplémentaire dans la sélection d’ores et déjà assez large du cinéma sud-coréen qui arrive jusque sur les écrans de cinéma français ! Sans pitié a beau n’innover que du côté des rapports de force complexes qui laissent les deux protagonistes se tourner autour tels des fauves, il n’en demeure pas moins un film de genre en voie vers la virtuosité, s’il savait un peu mieux dissimuler les ficelles de la manipulation habile à laquelle il nous soumet en permanence.