Critique : Retour à Ithaque

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Retour à Ithaque afficheRetour à Ithaque

France : 2013
Titre original : –
Réalisateur : Laurent Cantet
Scénario : Laurent Cantet, Leonardo Padura Fuentes
Acteurs : Isabel Santos, Jorge Perugorria, Fernando Hechavarria, Nestor Jimenez
Distribution : Haut et Court
Durée : 1 h 35
Genre : Comédie Dramatique
Date de sortie : 3 décembre 2014

4/5

Après deux premiers longs métrages de cinéma ayant pour thème le monde du travail et avant Entre les murs, sa Palme d’Or cannoise, Laurent Cantet avait commencé en 2008 à ressentir un besoin d’exotisme qui s’était traduit par le très discutable Vers le Sud, tourné à Haïti. Quelques années plus tard, le film à sketchs 7 jours à la Havane, dans lequel il a réalisé La Fuente, l’épisode du dimanche, a permis à Laurent Cantet de bien faire connaissance avec la capitale cubaine et de rencontrer l’écrivain et journaliste cubain Leonardo Padura Fuentes. scénariste de ce film. 

 Synopsis : une terrasse qui domine la Havane, le soleil se couche. Cinq amis sont réunis pour fêter le retour d’Amadeo après 16 ans d’exil. Du crépuscule à l’aube, ils évoquent leur jeunesse, la bande qu’ils formaient alors la foi dans l’avenir qui les animait … mais aussi leur désillusion d’aujourd’hui.

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Retour d’exil 

Il y a deux ans, 7 jours à La Havane avait permis à 7 réalisateurs de faire un portrait de la capitale cubaine en ce début de 21ème siècle. Parmi ces réalisateurs, deux français : Gaspard Noé et Laurent Cantet. Parmi les scénaristes, un écrivain cubain de grande renommée, Leonardo Padura Fuentes. La rencontre entre Laurent  Cantet et Leonardo Padura Fuentes se prolonge dans Retour à Ithaque, un film dont ils ont écrit conjointement le scénario et qui met en scène un groupe de quinquagénaires qui s’est réuni pour fêter le retour d’Amadeo, l’un d’entre eux, revenu à La Havane après 16 années d’exil en Espagne. C’est au cours d’une tournée en Espagne qu’Amadeo a décidé d’y rester, au grand dam de ses amis qu’il n’avait préalablement pas mis au courant. Des amis qui ont été d’autant plus choqués qu’Angela, la femme d’Amadeo, restée à Cuba, est morte d’un cancer durant cet exil. En fait, bien que sa vie en Espagne n’ait pas été très facile, bien que lui, écrivain, ne soit plus arrivé à écrire loin de son pays, Amadeo y est resté très longtemps pour une raison, une très bonne raison que Laurent  Cantet et Leonardo Padura Fuentes ont l’intelligence de ne dévoiler que petit à petit.

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Les amis qui sont restés

5 personnages composent ce groupe d’amis, 5 personnages qui se connaissent depuis très longtemps et qui font partie d’une génération d’intellectuels cubains nés en même temps que la révolution, dont la jeunesse a baigné dans l’impression qu’eux et leur pays étaient en train de construire un monde nouveau et qui ont pris de plein fouet l’arrivée de la « période spéciale en temps de paix », conséquence de la chute des régimes communistes des pays de l’est. On sent que les deux scénaristes se sont efforcés de faire de ce groupe un « échantillon » le plus représentatif possible de cette partie de la population cubaine. C’est ainsi, qu’à part Amadeo, on rencontre Rafa, celui qui a toujours été la « grande gueule » du groupe, caractéristique qui l’a empêché de percer dans la peinture et qui l’a conduit à vivoter en vendant à bas prix des tableaux dont il dit lui-même qu’ils sont mauvais. Il y a Aldo, le noir du groupe, un ingénieur de formation qui lui aussi vivote en s’abîmant les mains avec les batteries qui lui servent de gagne-pain. Sans doute parce que ses origines le rendent plus sensibles que les autres à ce que la révolution cubaine a pu apporter de positif, Aldo est celui qui, dans le groupe, veut encore « y croire », ne serait-ce qu’un peu. Il y a aussi Tania, la seule femme du groupe, une ophtalmo dont le métier lui permet tout juste de subsister. Il y a enfin Eddy, un écrivain raté qui, un jour, s’est aperçu que la meilleure façon d’avoir une vie agréable consistait à se compromettre auprès du régime, ce que ses amis ne lui ont pas vraiment pardonné. Tout comme pour Amadeo, les deux scénaristes apportent régulièrement, finement, de nouveaux éléments permettant de connaître toujours un peu plus chacun de ces personnages. Par ailleurs, plus sommairement, le film nous présente la génération suivante en la personne de Yoenis, le fils d’Aldo, et de sa petite amie : une génération qui n’a connu que la pénurie et qui ne rêve que d’aller s’établir aux Etats-Unis.

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Des discussions passionnantes 

Tourné sur le toit d’un immeuble de La Havane et dans la salle à manger de l’appartement de l’un des membres du groupe, le dispositif du film est très théâtral et les premières minutes font craindre que se déroule tout du long un verbiage sans grand intérêt.Toutefois, très vite, le spectateur se sent concerné et même passionné par ces discussions assez fortement alcoolisées dans lesquelles se télescopent regrets, anecdotes, désillusions, nostalgie et rancœurs toujours tenaces. On sent que les trois membres du groupe qui ne se sont pas exilés et qui ne se sont pas compromis, s’ils reprochent à l’un son exil et à l’autre sa compromission, se reprochent aussi à eux-mêmes d’être restés entre deux eaux : quelle part de responsabilité ont-ils dans l’état du pays, dans ce sentiment de peur qui ne les quitte que très rarement ? De temps à autre, des anecdotes viennent détendre l’atmosphère, comme l’évocation de la chanson « California Dreaming » des Mamas et des Papas, interdite à l’époque de sa sortie, comme le souvenir des querelles entre pro-Beatles et pro-Rolling Stones. Même s’il est limité, le dispositif scénique apporte sa pierre à la problématique du film, avec la mer d’un côté, cette mer qui ouvre vers l’extérieur de l’île, vers la fuite, et la mer d’immeubles de l’autre côté, ce lien avec ce pays d’origine si attachant. Il permet aussi de faire monter vers les protagonistes des éléments de la vie cubaine d’aujourd’hui : le bruit généré par un match de base-ball, l’exécution d’un cochon dans un immeuble voisin, une dispute au sein d’un couple. Pour ce film, ce qui, chez lui, n’est pas toujours le cas, Laurent Cantet a tenu à faire appel à des comédiens professionnels très réputés, capables d’affronter le dispositif à deux caméras tournant en continu choisi par le réalisateur. En effet, ces scènes tournées en intégralité demandent à la fois de mémoriser de longues séquences de dialogues et d’apporter finement des touches d’improvisation.

Conclusion

Retour à Ithaque fait partie de ces films qui marquent profondément les spectateurs, à la fois par leur simplicité et par leur richesse. On peut s’étonner que le scénario, pas particulièrement tendre pour ce qu’est devenue l’île crocodile, ait été accepté sans problème par les autorités, et, qu’à la suite, le film ait pu être tourné à La Havane avec des comédiens cubains. Peut-être la tendresse que les scénaristes et le réalisateur montrent pour le peuple cubain y est-elle pour quelque chose.

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