Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
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« Cinéma en liberté », aux yeux des créateurs de la Quinzaine, n’était pas une simple formule. On s’en apercevra au fil de ce dossier : la plus provocatrice des sections parallèles aime tous les cinémas, et notamment ceux qui sortent de la norme, de l’horreur à l’érotisme, en passant par l’expérimental et bien sûr le queer.
Petit tour d’horizon des films queer qui ont égayé les 50 premières éditions.
LUMINOUS PROCURESS (1972)
A travers un univers aujourd’hui sobrement qualifié de « fantasmagorique », Steven Arnold met en scène ses propres fantasmes. Son héroïne Pandora, une grande prêtresse, initie deux jeunes hommes à l’hédonisme. Le film, choc à la fois mais oublié depuis, condense tous les thèmes phares de la filmographie de Steven Arnold : les hommes, le glamour, l’androgénéité et le sexe.
TRIPLE ECHO (1972)
Adoré par la télévision britannique depuis qu’il a tourné certains des meilleurs épisodes du soap opera Coronation Street, Michael Apted signe ici son premier long-métrage. Culotté et comique malgré lui, ce drame raconte les péripéties du caporal Barton pendant la Seconde guerre mondiale. Tombé amoureux d’une veuve et refusant de retourner au front, il se déguise en sa « sœur » mais finit par se plaire dans son « nouveau corps ». Par la suite, il se laisse séduire par un sergent, ce qui va déclencher sa descente en enfer.
O CASAMENTO (1976)
Le quatrième long-métrage du Brésilien Arnaldo Jabor est un film coup de poing. Il raconte comment un bourgeois spécialisé dans le bâtiment voit sa vie bouleversée par les révélations de sa fille. Cette dernière, après avoir appris que son fiancé a été vu en train d’embrasser un autre homme, raconte ses 18 années de calvaire auprès d’un père incestueux et véreux. Ici, amour morbide, révolte, crime, sexe et mort se croisent pour ne former qu’un long drame à l’humour noir ravageur.
THE GETTING OF WISDOM (1978)
L’adaptation de ce roman d’Henry Handel Richardson par Bruce Beresford, douze ans avant son Oscar du meilleur film pour Miss Daisy et son chauffeur, est un mélange de young adult et de teen movie. Mais le cinéaste rend bien plus explicite la relation lesbienne entre deux étudiantes. Enorme succès en Australie quand il est sorti, ce drame est devenu un classique au même titre que celui de son compatriote Peter Weir, Picnic à Hanging Rock, sorti deux ans plus tôt.
NIGHTHAWKS (1978)
Le documentariste Ron Peck signe ici son premier long métrage de fiction, l’histoire d’un enseignant londonien qui drague d’autres hommes dans des bars ou des boites, et cloisonne sa vie publique et sa vie privée , ses collègues de tous les jours et ses rencontres d’un soir. Il est obligé de se cacher: son travail (avec des enfants), la société (répressive) sont autant de contraintes à son fragile équilibre. Nighthawks (qui rappelle le tableau d’Edward Hopper, qui inspirera plus tard un docu au réalisateur) est le premier film « gay », sans meurtres, sans chantage et sans stéréotypes, sorti dans un large circuit de salles au Royaume Uni. C(est aussi l’un des premiers films à offrir des scènes de nudité masculine frontale, ce qui l’a classé X. On pourrait le revoir aujourd’hui comme un reportage sur le milieu gay des années 1970.
ANGUELOS (1983)
Le réalisateur grec Georges Katakouzinos revendique ce film comme « un choix moral et militant face à l’intolérance et au « fascisme quotidien ». » Dans un monde méditerranéen macho et homophobe, filmer l’homosexualité c’est filmer la dimension humaine et le droit à la différence, en puisant dans la mythologie grecque, et sa part de tragédie. Un jeune gay athénien, dans l’armée le jour, cache son homosexualité. Il craque pour un marin. Ce dernier le force à se travestir et à se prostituer. La violence et la fatalité font mauvais ménage dans ce drame qui a reçu les trois plus grands prix du Festival de Thessalonique en 1982.
LE CHANT DES SIRENES (1987)
A travers Polly, la réalisatrice canadienne Patricia Rozema raconte sa volonté de croire en ses rêves. Son héroïne, une secrétaire intérimaire, modeste et innocente est fantasque et parfois absurde mais jamais ridicule. Et c’est sans doute pour cela que Le Chant des sirènes demeure aujourd’hui encore au panthéon des meilleurs films portés par un personnage queer. Prix de la Jeunesse cette année-là, le premier long-métrage de Patricia Rozema a ravi la critique et décroché 11 nominations aux Genie Awards, l’équivalent canadien des César.
MASCARA (1987)
Avec son troisième et dernier long-métrage, le Belge Patrick Conrad fait le pari audacieux de parvenir à mêler milieux de l’opéra, du travestissement et de la police. Plus qu’un film sur la féminité, son Mascara a tout d’une lettre d’amour destinée à Charlotte Rampling. L’actrice y incarne Gaby, une sœur absolument fascinante lorsque son quotidien est bouleversé par les machinations de son policier de frère Bert, complètement jaloux de son ami Chris. Polar outrageusement érotisé, Mascara marque un tournant dans la carrière de Charlotte Rampling.
MA VIE EN ROSE (1997)
Ce fut le feel-good movie de la sélection cette année-là. Alain Berliner avec Michèle Laroque en maman dépassée par son garçon qui se déguise en fille, et Zazie pour la chanson qui clôt le conte de fée (car ça se finit plutôt bien). Le film est un Tomboy avant l’heure, où le désenchantement collectif (famille, voisins, école) se mêle aux rêves d’un enfant qui veut être princesse. Ode à la différence, évidemment, Ma vie en rose a les allures d’une fable tout-public et s’avère en fait une insidieuse critique de la société normative.
BILLY ELLIOT (2000)
Aujourd’hui âgé de 56 ans, Stephen Daldry a le luxe de pouvoir dire qu’il a réalisé peu de films mais que c’était à chaque fois de grands films. Dancer est son premier film. Ici, il met en scène le quotidien d’un garçon de 11 ans, fasciné par la pratique de la danse mais issu d’une petite ville minière du Nord de l’Angleterre où la boxe est le seul sport digne des hommes. Drôle et touchant, le film qui deviendra par la suite Billy Elliot – pour éviter toute confusion avec Dancer in the Dark (autre film présent cette année-là à Cannes) – enterre les autres comédies dramatiques de l’époque en mêlant frustration, homophobie, patriarcat et sens du devoir. Billy Elliot a été sacré meilleur film au British Independent Film Awards.
ODETE (2005)
Diplômé de l’Ecole Supérieure de Cinéma de Lisbonne, le bienveillant Joao Pedro Rodrigues raconte ici les aventures d’Odete, Pedro et Rui. La première travaille dans un hypermarché et rêve d’avoir un enfant (en vain) tandis que les deux autres viennent de se fiancer. Lorsque Pedro meurt soudainement, son fantôme fait appel à Odete pour que son histoire d’amour avec Rui perdure et demeure éternelle. Porté par Ana Critistina de Oliveira, Nuno Gil et Joao Carreira, Odete est un drame moderne et innovant où la vie et le sexe côtoient en permanence la mort.
J’AI TUE MA MERE (2009)
A tout juste 20 ans, le Québécois Xavier Dolan débarque pour la première fois sur la Croisette. Neuf ans plus tard, on se demande encore comment il est possible que le jeune surdoué n’ait pas encore décroché de Palme d’or. Stylé et fascinant, son premier long-métrage quasi-autobiographique raconte dans en détail la relation compliquée de Hubert Minel avec sa mère. Du haut de ses seize ans, il la jauge avec mépris et tente de vivre à fond sa sexualité ainsi que ses expériences artistiques. J’ai tué ma mère a raflé le prix « Regard Jeune », le prix SACD et l’Art Cinema Award quelques mois avant d’être sacré meilleur film étranger aux César 2010.
LES GARÇONS ET GUILLAUME, A TABLE! (2013)
Pour son premier long-métrage, Guillaume Galienne choisit d’adapter son one-man show. Il y raconte comment, fasciné par sa mère, il a décidé de tout faire pour lui plaire, quitte à sacrifier son orientation sexuelle. Ou du moins, celle que sa mère lui pensait. Pendant 86 minutes, André Marcon, Diane Kruger et Reda Kateb viennent embellir cette comédie déjà bien enflammée par la double performance de son réalisateur. Nommé pour la Queer Palm, le film de Guillaume Galienne n’a pas fait le poids face à L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie.
PRIDE (2014)
A l’été 1984, les mineurs britanniques se mettent en grève face à la politique d’une Margaret Thatcher omniprésente. Lors de la Gay Pride de Londres, un groupe d’activistes gays et lesbiens décide de récolter de l’argent pour aider les familles des mineurs en grève. De cette rencontre entre deux communautés qui se sont longtemps ignorées naît un récit fun et délirant dont seuls les Anglais ont le secret et où se croisent Ben Schnetzer, Dominic West, Russell Tovey ou encore Bill Nighy, le tout devant la caméra de Matthew Marchus. A l’époque, Pride a quitté la Croisette en remportant la Queer Palm.
MA VIE DE COURGETTE (2016)
Lorsque Claude Barras décide de réaliser l’adaptation du livre pour enfants Autobiographie d’une courgette, il n’a sans doute pas l’intention de faire un film queer. Mais l’aventure d’Icare, jeune orphelin recueilli par une communauté d’enfants abandonnés, est pourtant bien peuplée de personnages « étranges » et « bizarres ». Avec ses enfants-marionnettes aux visages gender neutral, son récit non-stéréoytpé et ses jeunes victimes de problèmes physiques et d’agressions sexuelles, Ma Vie de courgette est devenu le film d’animation must-see de la jeunesse queer.
CARMEN Y LOLA (2018)
Un an seulement après 7 from Etheria, la réalisatrice espagnole Arantxa Echevarria présente son premier long métrage en solo. Très attendu, son Carmen y Lola raconte l’histoire d’amour que vivent deux jeunes femmes gitanes, dans un milieu où l’homosexualité est tabou. D’après les premières images dévoilées dans la bande annonce espagnole, Carmen y Lola semble lorgner du côté de La Vie d’Adèle pour son dynamisme et de Carol pour sa sensualité.
Wyzman du site Ecran Noir