Critique : Nahid

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Nahid

Iran, 2015
Titre original : Nahid
Réalisateur : Ida Panahandeh
Scénario : Ida Panahandeh et Arsalan Amiri
Acteurs : Sareh Bayat, Pejman Bazeghi, Navid Mohammad Zadeh
Distribution : Memento Films
Durée : 1h46
Genre : Drame
Date de sortie : 24 février 2016

Note : 3/5

Après plus de trente ans d’isolement mi-choisi, mi-imposé, l’Iran s’ouvre progressivement au reste du monde. Tandis que les volets économiques et politiques de ce dégel nous paraissent trop complexes pour les évoquer au détour d’une phrase, son aspect cinématographique mérite qu’on s’y attarde un peu. Parmi le nombre guère élevé de films qui parviennent jusque sur les écrans français depuis l’Iran, deux courants principaux se distinguent. D’un côté, celui de la résistance claire et nette aux vestiges toujours très vigoureux du régime intégriste, personnifiée essentiellement par le réalisateur persécuté Jafar Panahi. Et de l’autre, un regard moins polémique sur la vie quotidienne d’une société tiraillée entre les valeurs anciennes et une modernité dans les rapports humains qui se fait de plus en plus ressentir. Le premier film de fiction de la réalisatrice Ida Panahandeh choisit clairement son camp. Nahid constitue en effet une sorte de variation provinciale de Une séparation de Asghar Farhadi, un peu moins fulgurant dans l’exécution formelle que ce dernier, mais tout aussi sobre et poignant dans son portrait de l’Iran depuis un point de vue féminin.

Synopsis : Divorcée depuis deux ans, Nahid élève seule son fils de dix ans Amir Reza. Elle a fait la rencontre du veuf Masoud dont elle est tombée amoureuse et qui l’a demandée en mariage. Mais si elle veut continuer à avoir la garde de son enfant, Nahid ne peut pas accepter cette proposition qui résoudrait pourtant tous ses autres problèmes matériels et sociaux. En effet, son premier mari Ahmad, un toxicomane en rémission de façon plus ou moins durable, a accepté de la laisser élever leur fils, à condition qu’elle ne se remarie pas.

Hommes femmes mode d’emploi

Le premier plan de Nahid s’avère assez traître dans l’espoir d’une ouverture d’horizon qu’il donne. Car dans toute sa beauté plastique, cette vue sur la plage de la mer Caspienne se distingue par les couleurs ternes dans lesquelles baigne ce décor a priori hivernal. Elle nous donne ainsi l’impression d’une invitation au voyage, vers une plus grande liberté et autonomie du personnage central par exemple, qui porte en même temps en elle le germe d’une frustration et d’une tristesse constantes. Le ton de ce film remarquable reflétera avec subtilité ce dilemme existentiel majeur, qui ne donne qu’une marge de manœuvre dérisoire aux hommes et aux femmes qui osent s’insurger contre le statu quo social. Cependant, la narration met l’accent sur les déboires intimes de Nahid, au lieu d’en faire une héroïne exemplaire. Toute son adresse réside d’ailleurs dans le fait d’aménager un réseau prodigieux d’ellipses et d’indications plutôt vagues pour dresser un état des lieux quasiment exhaustif de la situation des femmes en Iran aujourd’hui. De cette démarche astucieuse résulte un réalisme parfois accablant, parce que avare en moments de répit et de bonheur. Elle est par contre également le garant du refus catégorique d’adhérer à un manichéisme caricatural entre la gente masculine, qui userait de tout son pouvoir pour mettre des bâtons dans les roues du personnage principal, et le rôle de victime attribué à tort ou à raison aux femmes, trop faibles et dociles pour prétendre à un soupçon d’égalité des chances.

L’Iran en l’an 2015

Aussi modeste soit-il en apparence, ce film présenté au dernier festival de Cannes dans la sélection Un certain regard et lauréat de son Prix d’avenir séduit par la noblesse des sentiments qu’il nous inspire et peut-être encore plus par celle des enjeux qu’il défend sans recourir aux grands moyens du chantage affectif. Son scénario prend certes parti pour Nahid et explore sans états d’âme les contradictions de la vie qu’elle a choisie pour elle, mais sans en faire à aucun moment une sainte. Elle a beau prendre occasionnellement la pose d’une pietà, comme lorsqu’elle ramène son fils fugueur chez elle à bord de la barque d’un autre âge, grâce à laquelle elle peut rejoindre son domicile. Mais elle est simultanément consciente de sa propre part de responsabilité dans la situation conflictuelle qui rend son quotidien un enfer à petit feu. L’interprétation magnifique de Sareh Bayat exprime parfaitement ce degré de lucidité, qui pourrait déboucher sur des décisions tragiques dans des histoires au trait plus forcé que celle-ci, mais qui est contre toute attente la source redoutable d’une tranquillité résignée ici. Car le propos global de ce film qui rechigne devant les prises de position sommaires pourrait être que les choses mettent du temps avant de changer en Iran, bien que les Iraniens adoptent d’ores et déjà un style de vie moins rigide que celui que les traditions du pays cherchent à leur imposer.

Conclusion

Venue du documentaire engagé, Ida Panahandeh n’est certainement pas le genre de réalisatrice à se laisser amadouer par des solutions faciles et rassurantes. Son premier film de fiction en est la preuve éclatante, puisque Nahid nous propose le portrait nullement complaisant d’une femme, qui se bat sans relâche pour son enfant, tout en sachant que l’idéologie dominante lui donnera tort à chaque étape de son parcours de combattant. C’est grâce à la finesse de la mise en scène que ce drame social n’est pas devenu un pamphlet larmoyant, mais au contraire un instantané nuancé sur les contradictions inhérentes au système iranien actuel, contre lequel les femmes doivent se battre jour après jour.

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