M
France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Sara Forestier
Scénario : Sara Forestier
Acteurs : Sara Forestier, Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud, Liv Andren
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h39
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 15 novembre 2017
Note : 3/5
Considérée à juste titre comme l’une des meilleures actrices françaises de sa (jeune) génération, Sara Forestier a osé le passage derrière la caméra avec un sujet potentiellement casse-gueule. La relation à fleur de peau entre une bégayeuse et un analphabète, qui fait vibrer M d’une intensité pas sans charme, dispose en effet de tous les ingrédients pour un mélodrame misérabiliste. Et s’il y a aussi de cela dans ce premier film, la franchise avec laquelle la réalisatrice débutante aborde ces deux marginaux, qui arrivent in extremis à s’en sortir grâce à leur amour inconditionnel, le sauve du naufrage. C’est par conséquent plus le côté écorchés vifs des deux personnages principaux qui nous y a subjugués qu’un quelconque cahier de charges social, de toute façon de moins en moins pertinent une fois la prémisse et son incompatibilité malicieuse établies. Ce conte de fées sur deux têtes brûlées nous demande ainsi un effort d’abstraction substantiel, face à cette surdouée qui ne sait pas sortir un mot et à cette petite frappe qui joue à l’homme fort pour mieux cacher sa honte intériorisée depuis l’enfance. Mais à condition de savoir goûter au parfum atypique de l’eau-de-rose des opposés qui s’attirent, vous passerez en leur compagnie quelques beaux moments d’une vérité affective à cran.
Synopsis : Lila est l’élève la plus brillante en Français dans sa classe de terminale. Et cela bien qu’un fort bégaiement l’empêche de communiquer normalement. Elle ne s’exprime qu’à travers son cahier, où elle note de même des poèmes. Un jour, à l’arrêt de bus, elle fait la connaissance de Mo, un trentenaire lui aussi porteur d’un handicap social. Ce pilote de courses clandestines n’a jamais appris à lire correctement. Pourtant, c’est un drôle de coup de foudre entre les deux, qui permet même à Lila d’envisager plus sereinement l’épreuve du bac oral. Mo cache par contre farouchement son insuffisance intellectuelle à sa nouvelle copine.
Le discours de la lettrée
Le leurre narratif est des plus astucieux : M s’ouvre en effet sur une séance d’entraide de bègues, où chacun partage ses petites victoires et grandes humiliations, jusqu’à ce que ce soit le tour de Lila, qui, elle, n’arrive pas du tout à mettre des mots sur son malaise existentiel face à ces inconnus. Après cette introduction à connotation documentaire, on aurait pu croire que le premier film de Sara Forestier persévère sur la voie de la leçon de morale réaliste. Ce qui n’est guère le cas, puisque la gêne apparente du personnage principal est vite – et peut-être trop vite – compensée par son talent littéraire que seul son professeur semble en mesure d’apprécier. Puis, son ouverture au monde, déclenchée par la rencontre improbable avec un homme aussi traumatisé qu’elle, se traduit par un gain de confiance et d’intégration comme on n’en a plus vu depuis l’allocution enflammée du roi frappé par le même handicap, il y a près de sept ans, dans le film de Tom Hooper. En effet, si l’histoire du film n’avait tourné qu’autour de Lila et de la voix qu’elle donne en quelque sorte à la communauté des gens qui bégaient, le piège du message lourdement édifiant aurait été difficile à éviter. Heureusement, la dynamique du récit se développe différemment, selon les lignes de fracture et de réconciliation à demi-mot d’une relation somme toute ordinaire, ni plus passionnelle, ni plus inventive que ne l’est le commun des aventures romantiques.
Un bus à impériale qui fonce droit dans le mur
La véritable révélation de M s’appelle Redouanne Harjane, connu surtout comme humoriste, qui explore ici un registre foncièrement plus tragique. Le portrait psychologique de son personnage ne se distingue certes pas par son trait nuancé. Mais en même temps, il fallait une présence plus brute pour éviter au génie de Lila de voler trop haut dans les nuages de la consécration littéraire et de l’amour idéal. Ses coups de sang et autres tendances suicidaires, aussi excessifs soient-ils, apportent ainsi une fragilité accrue à cette histoire, qui en disposait déjà amplement depuis le début. Il appartient alors à l’acteur de rattraper ce fonceur, qui se sent autant condamné par l’hostilité du monde extérieur que par lui-même, avant qu’il ne commette l’irréparable, à la fois en termes de surjeu et de revirements parfois trop mélodramatiques. Néanmoins, la mise en scène sait se retenir, elle aussi, face à l’insistance qui guette à chaque instant. Par exemple, lors de la reprise inéluctable du cœur du désespoir peint au rouge à lèvres sur le pare-brise de la course finale, que Sara Forestier laisse apparaître plus brièvement que ne l’aurait fait une narration adepte de moments artificiellement paroxystiques. L’apparition à deux reprises de textes vaguement poétiques sur fond noir a par contre pour résultat d’interrompre inutilement le flux d’une histoire sinon plutôt adroitement menée. Enfin, le passage doux-amer de Jean-Pierre Léaud en père largement détaché du cirque de la vie qui l’entoure a au moins pour avantage d’amener un petit peu de légèreté laconique dans l’ambiance tendue de l’action.
Conclusion
Il est sans doute encore trop tôt pour savoir si Sara Forestier dispose d’un véritable talent de réalisatrice. Son premier film, présenté en avant-première à l’Arras Film Festival, navigue toutefois avec une assurance déjà impressionnante à travers les écueils qui se présente à lui à intervalles réguliers. M fera au mieux modestement avancer la cause de l’illettrisme. Il n’en demeure pas moins un coup d’essai plus qu’honorable de la part d’une actrice, à la limite plus à l’aise derrière que devant la caméra dans le cas présent.