Le « french lover » par excellence, Louis Jourdan a su se soustraire aux limitations trop contraignantes de ce stéréotype hollywoodien, au fil d’une carrière longue et variée. L’acteur français est décédé avant-hier à Beverly Hills. Il était âgé de 93 ans. Connu surtout pour ses rôles emblématiques dans Lettre d’une inconnue, Gigi et Octopussy, Jourdan avait réussi à dépasser le stade de l’éternel amant, auquel son physique fort séduisant le prédestinait, mais qu’il considérait lui-même comme ennuyeux. Sa filmographie éclectique, aux œuvres souvent américaines et parfois françaises, se laisse apprécier par conséquent comme la preuve assez convaincante d’une volonté de la part du comédien d’être plus qu’une vedette éphémère, cantonnée dans le genre exclusif de l’épopée romantique.
Si Louis Jouvet ne lui avait pas dit qu’avec un visage comme le sien, ce serait un énorme gâchis de ne pas passer devant la caméra, Louis Jourdan serait probablement resté derrière elle. Car son parcours cinématographique avait commencé modestement en 1938, en tant qu’assistant du réalisateur Marc Allégret pour Entrée des artistes. Jourdan fait ses premiers pas en tant qu’acteur l’année suivante dans Le Corsaire de son mentor, film inachevé à cause du début de la guerre. Il enchaîne rapidement avec La Locomotive du bonheur et La Vie de bohème de Marcel L’Herbier, Battement de cœur et Premier rendez-vous de Henri Decoin, Untel père et fils de Julien Duvivier, ainsi que cinq films supplémentaires de Allégret : Parade en 7 nuits, L’Arlésienne, La Belle aventure, Les Petites du quai aux fleurs et Félicie Nanteuil. Quand son père, le propriétaire d’un hôtel, est arrêté par la Gestapo, Louis Jourdan met sa carrière entre parenthèses et rejoint avec ses deux frères la Résistance.
La Libération coïncide pour lui avec un départ pour Hollywood, où il est engagé par le producteur mythique David O. Selznick. Il tient son premier rôle américain dans Le Procès Paradine de Alfred Hitchcock, celui du valet tragique et ténébreux André Latour. Son film suivant – Lettre d’une inconnue de Max Ophüls – compte parmi ses meilleurs, grâce à son interprétation magistrale aux côtés de Joan Fontaine. Hélas, la suite s’avère déjà moins brillante, avec des films aussi variés que La Vérité nue de Lewis Milestone, l’adaptation de Madame Bovary par Vincente Minnelli, dans le rôle de Rodolphe Boulanger, L’Oiseau de paradis de Delmer Daves, La Flibustière des Antilles de Jacques Tourneur et Sacré printemps de Richard Fleischer. Louis Jourdan retourne alors en France, afin d’y tourner Rue de l’Estrapade de Jacques Becker. Ses autres films à Hollywood jusqu’à la fin de la décennie ne lui permettent guère de faire évoluer son registre : Pages galantes de Boccace de Hugo Fregonese, La Fontaine des amours de Jean Negulesco, Le Cygne de Charles Vidor et Le Diabolique Monsieur Benton de Andrew L. Stone.
C’est à partir de Gigi de Vincente Minnelli, Oscar du Meilleur Film en 1959, pour lequel il reçoit une nomination aux Golden Globes en tant que Meilleur acteur dans une comédie (musicale), que Louis Jourdan se dirige vers des rôles d’hommes plus mûrs. Cette évolution commence avec des films comme Rien n’est trop beau de Jean Negulesco, Cancan de Walter Lang, Le Comte de Monte-Christo de Claude Autant-Lara, Hôtel International de Anthony Asquith, Les Sultans de Jean Delannoy, Les Aventures extraordinaires de Cervantes de Vincent Sherman, Peau d’espion de Edouard Molinaro, Made in Paris de Boris Sagal et La Puce à l’oreille de Jacques Charon. Elle se termine à partir du début des années ’70 à travers L’Homme au masque de fer de Mike Newell, Plus ça va moins ça va de Michel Vianey, Banco à Las Vegas de Ivan Passer, La Créature du marais de Wes Craven, ainsi que son dernier rôle important, en tant qu’antagoniste de James Bond dans Octopussy de John Glen en ’83. En juillet 2010, Louis Jourdan avait été promu chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur, lors d’une petite cérémonie en compagnie de Kirk Douglas et de Sidney Poitier.