Critique : La Loi du marché (2ème avis)

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la loi du marché afficheLa Loi du marché

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé, Olivier Gorce
Acteurs : Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : 19 mai 2015

Note : 3,5/5

Difficile d’écrire sur le dernier film de Stéphane Brizé sans évoquer la performance de l’acteur principal, Vincent Lindon, tout juste auréolée d’un prix d’interprétation à Cannes 2015. Car La Loi du Marché repose intégralement sur lui, ce dernier imposant son rythme et sa scansion. Seul acteur professionnel de l’équipe, Lindon s’est admirablement fondu dans son rôle au point d’effectuer des stages d’agent de sécurité pour les besoins du rôle.

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Synopsis : Quinquagénaire, Thierry est un chômeur de longue durée sommé de retrouver une activité salariale sous peine d’être réduit, d’ici quelques mois, au RSA (environ 500 euros/mois), somme complètement dérisoire en rapport avec les besoins auxquels il faut subvenir, sans compter les factures, les études de son fils souffrant d’un problème psycho-moteur, les prêts à honorer, etc… Finalement, il parvient à dénicher un emploi en tant que vigile dans un supermarché, poste pour lequel il est chargé d’espionner subrepticement ses propres collègues (les caissières), et vérifier si elles ne gardent pas, à l’insu de la direction, les tickets-coupons des clients.

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Une société cauchemardesque, ubuesque

Kafkaïen, absurde et panoptique, la société décrite dans le film est purement et simplement cauchemardesque. A la fois basée sur la surveillance de l’individu (via les caméras de sécurité du supermarché dans une scène que l’on croirait sortie d’un documentaire de feu Harun Farocki) et le contrôle insidieux du corps et de la pensée (toutes ces saynètes durant lesquelles Lindon reçoit injonction sur injonction de la part de ses différents accompagnateurs administratifs), cette vision de la collectivité, basée sur l’espionnage et le rendement économique, est tacitement intégrée et acceptée par une grande partie de la population. Michel Foucault avait jadis anticipé, durant ses différentes interventions, ce postulat quasi-dystopique où l’individu est pris dans les rets d’une société punitive et répressive. On le constate bien à travers ses différents entretiens, Thierry n’a de cesse de se justifier vis-à-vis de ses interlocuteurs (conseiller pôle emploi, banquière…). Constamment prié de rendre des comptes, il est ballotté de rendez-vous en entretiens au gré d’un rythme administratif angoissant. Entretiens durant lesquels il doit argumenter, marchander, ratiociner…

Dans les mains d’une administration opaque, il conteste, parfois, certaines décisions ubuesques, notamment adoptées par Pôle Emploi. Mais Lindon se caractérise par sa passivité, sa patience à supporter les remarques insidieusement blessantes et les objurgations de ses différents conseillers. Dans le cas contraire, il passerait pour un agitateur, un révolté… Or, on le sait, le patronat n’apprécie que modérément les dissidents. Ce qu’ils veulent, ce sont des employés serviles, ne rechignant à aucune tâche, aussi basse fût-elle. Courber l’échine et acquiescer sans broncher. A l’école, à la banque, au travail, l’individu est encadré, normé, surveillé, exhorté, conseillé. Violence sociale réduisant l’individu à un sujet zélé, quasi-esclave, asservi aux banques (dettes) et au bon vouloir de l’employeur.

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Une variable d’ajustement dans une machinerie immense

A l’intérieur de cette machinerie immense, quasi-abstraite voire kafkaïenne, que constitue le monde du travail (et par extension le marché) il n’est qu’un rouage, une statistique, un pion interchangeable. Précarité de l’emploi et baisse du coût travail sont les nouvelles directives désirées par le patronat. Thierry, plein de bonne volonté, accepte d’occuper un emploi dont le revenu serait moindre que son ancien poste. Pourtant, lors de l’entretien via Skype, l’employeur conclut celui-ci en insistant sur l’infime chance d’obtenir l’activité salariale convoitée. Malgré la violence psychologique de l’échange, Lindon reste digne et encaisse poliment. Filmé de près, Lindon, dont la voix chevrotante émeut au plus haut point, intériorise toute cette violence sociale et psychologique qu’il subit quotidiennement. Ce sentiment d’étouffement, de claustration, malgré le scope utilisé, souligne l’encadrement de l’individu par la bureaucratie, régisseuse de leurs vies. A cet égard, il est intéressant de noter la quasi-absence de scènes en plein-air. Excepté à la fin, où dans un geste de ras-le-bol, Lindon quitte subitement son lieu de travail avant de retrouver sa voiture située dans le parking extérieur, la majorité du film se déroule intégralement en intérieur. Où l’aspect des décors, morne et terne, reflète la déshumanisation de l’administration, qu’elle soit financière ou étatique. Sous l’influence d’une économie de plus en plus envahissante, chaque individu est maintenant vu comme une variable d’ajustement, moins comme une personne avec ses propres affects et sentiments.

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Une mise en scène (trop) documentaire

A la vision du film, je ne pouvais m’empêcher de regretter l’aspect trop rudimentaire de la réalisation, son aspect brut et son absence de découpage qui accentuent un peu trop, à mon goût, l’aspect documentaire et vériste du film. Une approche stylistique – suivre continuellement un personnage sans que la mise en scène s’encombre d’afféteries formelles – que l’on a pu rencontrer, plus maîtrisée, chez les Dardenne. En dépit de cet aspect esthétique un chouïa trivial, surnagent des moments exceptionnels, criants de vérité et d’authenticité. L’on peut également regretter le phagocytage du jeu de Vincent Lindon éclipsant tous ses partenaires, non professionnels faut-il le rappeler. Chacun a sa place bien assignée : l’acteur de cinéma d’un côté, de l’autre les « amateurs ». Ce schéma reproduit implicitement une vision sociétale moins égalitariste, plus séparatiste, allant à l’encontre du projet voulu initialement : donner un champ visuel aux chômeurs, aux exclus du monde du travail.

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Conclusion

Malgré tout, l’on ne peut rester insensible à l’égard du personnage principal, son opiniâtreté, sa ténacité exemplaire. Le processus d’identification fonctionne : quiconque peut se reconnaître dans ces différentes situations… D’aucuns y verraient un brin de démagogie (ils n’auront peut-être pas tort), cependant La Loi du Marché reste un film fort, un reflet captivant de notre société actuelle.

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