Critique : Anton Tchekhov 1890

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Anton Tchekhov 1890

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : René Féret
Scénario : –
Acteurs :  Nicolas Giraud, Lolita Chammah, Robinson Stévenin
Distribution : JML Distribution
Durée : 1h36
Genre : Biopic, drame
Date de sortie : 18 mars 2015

Note : 3,5/5

Avec Anton Tchekhov 1890, René Féret s’attelle au portrait de l’un des écrivains russes les plus célèbres, auteur des pièces de théâtre La Mouette, La Cerisaie et Oncle Vania, ainsi que de nombreuses nouvelles. Alors que le sujet aurait pu conduire à un biopic historique à la gloire du grand écrivain, il semble plutôt que tout, dans le film, soit ramené aux dimensions de l’humilité de l’homme qui, avant d’être écrivain, demeura avant tout et toute sa vie un médecin, un fils, un frère. Nicolas Giraud, que l’on a vu récemment dans Loin des hommes, incarne l’écrivain-médecin aux côtés de Lolita Chammah et Robinson Stévenin. 

Synopsis : Été 1890. Pour se faire un peu d’argent et nourrir sa famille, Anton Tchekhov, médecin modeste, écrit des nouvelles pour des journaux qu’il signe Antocha Tchékhonté. Des personnages importants, écrivain et éditeur, viennent lui faire prendre conscience de son talent. Sa situation s’améliore et Anton Tchekhov obtient le prix Pouchkine et l’admiration de Tolstoï. Mais lorsque l’un de ses frères meurt de la tuberculose, Anton le vit comme un échec personnel et veut fuir sa notoriété et ses amours. Il se souvient de sa promesse et décide alors d’aller sur l’Île de Sakhaline, à 10 000 kilomètres de Moscou, à la rencontre des bagnards.

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Portrait de l’artiste en sa maison

Passée la première et inévitable déception de ne pas goûter à la langue de Tchekhov et de Tolstoï mais à celle de leurs interprètes français (Nicolas Giraud et Frédéric Pierrot), on entre dans le film avec le même plaisir que quand on entre dans une pièce de théâtre. La première scène décontenance du même coup le spectateur et les deux visiteurs qui, s’étant déplacés au domicile des Tchekhov pour rencontrer le surnommé « Antocha » dont ils ont remarqué le talent, se trouvent face à un groupe de jeunes hommes amusés parés de masques africains. Qui est Tchekhov ? Ce jeune homme fantaisiste qui a l’air de ne pas prendre leur demande au sérieux ? Comment représenter un écrivain aujourd’hui canonique ? Toute la première partie du film se déroule dans un huit clos volontairement suranné, dont les teintes presque sépia enrobent tout, la boiserie du bureau, le joyeux visage de la sœur bien-aimée (Lolita Chammah), jusqu’à la rousse et luxuriante chevelure de la fabuleuse maîtresse Lika (Jenna Thiam).

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René Féret cueille son personnage dans l’intimité et l’agitation chaleureuse de sa vie de famille. Pour faire le portrait de l’écrivain russe qu’il désigne comme une sorte d’alter ego, il choisit l’espace domestique et émotionnel du foyer familial, la modestie du français et l’humilité du jeu de l’acteur Nicolas Giraud. Il préfère, à la périlleuse mise en scène de ce qui serait la spiritualité inaccessible du créateur, la manifestation matérielle et concrète de l’écriture dans la vie d’un homme qui est avant tout soucieux de son métier de médecin et de son rôle dans la famille. Les plus belles scènes sont justement celles qui se produisent en-dehors des fulgurances de l’écriture, mais qui en sont comme les conditions émotionnelles, le liant nécessaire à la création. Ce sont les jeux complices avec une sœur espiègle (l’excellente Lolita Chammah) dont le rôle dans l’œuvre de Tchekhov (en tant qu’inspiratrice, que femme de lettres et que lectrice qui transcrit aussi ses manuscrits) est particulièrement mis en valeur. Ce sont aussi les tendres entretiens d’Anton avec son frère tuberculeux Kolia, qui détermineront son destin. Robinson Stévenin incarne à merveille ce peintre maladif et génial.

Humilité de l’artiste et de son portrait

À ce premier film – qui est celui de l’ascension de l’écrivain – s’adjoint un second, qui est le voyage de Tchekhov à Sakhaline. La rupture dans le fil de l’histoire, l’impression de relâchement du scénario, le passage abrupt d’un huis clos à de sublimes plans ouverts sur l’immense paysage rocailleux de l’île, tranchent net avec la première partie. Or, ce qui pourrait sembler une extension maladroite ne constitue en fait que l’accomplissement de la promesse tenue au début par Tchekhov à son frère malade (et donc par le film), à savoir de recueillir les témoignages des bagnards de Sakhaline.

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Avec l’excursion à Sakhaline, Tchekhov, de l’écrivain reclus dans la ouate silencieuse du bureau de travail, devient un passeur, le passeur d’histoires humaines qui le dépassent : il écoute individuellement chacun des détenus et jette sur le papier leurs récits. Entrent en scène des personnages secondaires pittoresques, tels que l’institutrice de l’île, le bagnard qui sert Anton et les filles d’une prostituée. C’est peut-être là, dans la partie consacrée à Sakhaline, que le personnage ressemble le mieux au metteur en scène René Féret qui, en brossant son portrait, dépeint humblement, en témoin bienveillant, et avec justesse, un Tchekhov qui ne fut pas seulement un écrivain, mais avant tout un soignant, un fils, un frère.

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Conclusion

Avec le film de René Féret, on ne touche peut-être jamais vraiment aux raisons qui font de Tchekhov un très grand écrivain. On entend d’ailleurs peu ses textes. Mais on approche de près son double métier de médecin et d’écrivain. La représentation des conditions matérielles de l’écriture saisissent peut-être quelque chose de plus vrai que ne l’aurait fait par exemple la représentation de ses succès publics. Une fois seulement, le film montre la répétition d’une représentation de La Mouette, lors de laquelle le dramaturge fait une remarque qui pourrait aussi bien s’appliquer au film, à savoir que les personnages ne doivent pas disparaître derrière la performance des acteurs. Dans Anton Tchekhov 1890, les acteurs sont bons et l’humilité de leur jeu (en particulier celui de Nicolas Giraud), accrue par la qualité de la photographie, laisse place à une grande palette de sensations, celles qui ont fait l’imaginaire de Tchekhov.

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