Albi 2016 : Corniche Kennedy

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Corniche Kennedy

France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Dominique Cabrera
Scénario : Dominique Cabrera, Pierre Linhart & Philippe Géoni, d’après le roman de Maylis De Kerangal
Acteurs : Aïssa Maïga, Lola Créton, Kamel Khadri
Distribution : Jour2Fête
Durée : 1h34
Genre : Drame
Date de sortie : 18 janvier 2017

Note : 3/5

Dominique Cabrera aime Marseille. Elle l’a dit à plusieurs reprises lors de la présentation de Corniche Kennedy au 20ème Festival d’Albi. Cet attachement se traduit par un film à l’équilibre délicat, sans l’ombre d’un doute enraciné dans la mentalité et la topographie de la cité phocéenne et en même temps libre comme l’air de toute trace de coloris folklorique. A l’image de ces jeunes qui peuplent l’histoire avec leur joyeux mélange d’innocence et d’effronterie, qui ne tardera pas à se briser au cap du passage à l’âge adulte. Il persiste toutefois un lien fort avec le réalisme dans cette évocation solaire de destins sur le fil, davantage mis en danger par leur précarité sociale et des perspectives d’avenir inexistantes que par le défi vaguement sportif d’accomplir des sauts de plus en plus périlleux. La réalisatrice tient compte de cette vitalité fragile avec une sympathie manifeste pour ses jeunes comédiens, pour la plupart amateurs. Son regard et le ton du film restent fidèles à leur philosophie de vie joliment sauvage, quitte à se montrer plus à l’aise parmi ces casse-cou au charme désarmant que lorsqu’il s’agit de respecter l’origine littéraire du scénario en y incluant une intrigue annexe policière sans véritable valeur ajoutée.

Synopsis : Mehdi, Marco et leurs potes passent l’été à plonger dans l’eau depuis la Corniche Kennedy, à Marseille. C’est une activité interdite et dangereuse, qui leur confère cependant un peu de liberté à partager en groupe. Suzanne, une fille de bonne famille qui est sur le point de passer son bac, est fascinée par ces plongeurs qu’elle prend de loin en photo avec son téléphone. La bande de jeunes finit par la repérer et par la défier. Or, Suzanne réussit à s’y intégrer, grâce au jeu habile de séduction qu’elle exerce simultanément à l’égard de Mehdi et de Marco. Ce dernier est dans le collimateur de la police, en raison de ses liens avec le crime organisé.

Tous à la flotte

Dans chaque plongeon depuis la corniche marseillaise, digne des acrobates les plus hardis d’Acapulco, il existe trois temps distincts : celui de l’hésitation et de la prise de décision plus ou moins volontaire, celui de l’élan et de la suspension dans l’air, à la sensation d’apesanteur hautement fugace, puis pour finir celui de l’impact, brutal et parfois suivi de blessures, le prix à payer pour avoir osé enfreindre différents types de loi. L’intrigue de Corniche Kennedy ne se résume certes pas à la répétition de cet acte d’insubordination à plusieurs niveaux. Il y fait par contre figure de symbole saisissant de l’état de flottement, entre le cadre rigide, voire déprimant du quotidien de ces jeunes désœuvrés et leur petit paradis terrestre, qui sert de base au film. Au lieu de se lamenter sur le sort de ces pauvres adolescents, privés de perspectives et d’ambitions sérieuses, Dominique Cabrera réussit à en capter toute la rage de vivre. Elle le fait heureusement depuis un point de vue nuancé, capable de jongler entre les signes de l’immaturité et cette pureté des corps et des esprits, qui est condamnée à se faner très progressivement après le cap glorieux des vingt ans. Son film s’apparente ainsi dans son approche globale à un formidable portrait de la jeunesse marseillaise d’aujourd’hui, d’ores et déjà rompue à la routine de la provocation ininterrompue à l’égard de l’autorité sous quelque forme que ce soit et malgré cela encore en mesure de croquer la vie à pleines dents.

Le tourbillon de la vie à la marseillaise

Cette fraîcheur du regard résiste vaillamment aux aspects plus conventionnels du scénario. Les deux principaux pôles d’activité dramatique sont en effet le triangle amoureux entre Suzanne et les deux garçons, ainsi qu’une enquête policière à laquelle seul l’un des protagonistes participe de façon périphérique. Tandis que le jeu de la double séduction participe habilement à créer un contexte affectif dépourvu de contraintes, sans pour autant tomber dans le piège d’une quelconque exploitation malsaine de ces sentiments à fleur de peau, les quelques séquences autour du travail ingrat des flics ne tirent leur force que de la présence d’Aïssa Maïga, une sorte de mère de substitution qui veille sur les jeunes largement abandonnés par leurs familles. Or, le sens caché du film – et indirectement du roman de Maylis De Kerangal dont il est l’adaptation – pourrait être l’affirmation de voler de leurs propres ailes de la part d’adolescents bénis d’une parenthèse de liberté, dont les responsabilités écrasantes de la vie d’adulte risquent de les priver tel un étau qui se resserre autour d’eux. Dans cette danse sur le volcan du temps qui passe et de la sagesse qui tarde à se manifester, c’est surtout le jeu naturel des comédiens non professionnels qui intrigue, Kamel Khadri et Alain De Maria en tête. Ces derniers personnifient à la perfection toute la contradiction de cette belle ville de Marseille, gangrenée par la pègre et sa tentation des petites combines, à laquelle la seule alternative serait le plaisir éphémère de sauts dans le vide, sans filet de secours.

Conclusion

Comme Dominique Cabrera l’a expliqué lors de sa rencontre avec la presse à l’issue de la projection de son nouveau film au Festival des Œillades d’Albi, Corniche Kennedy tire sa force vitale de la danse et sa beauté plastique de la peinture. C’est en effet un film d’écorchés vifs, fait par une réalisatrice qui a rarement manqué d’exprimer sa solidarité envers les causes perdues et autres ostracisés d’une société trop formatée au fil d’une filmographie plus qu’honorable. Son dernier film n’y fait point exception, grâce au climat marseillais si passionnel, auquel elle donne un terrain d’expression cinématographique des plus sincères.

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