Leviathan
Russie : 2014
Titre original : Leviafan
Réalisateur : Andreï Zviaguintsev
Scénario : Andreï Zviaguintsev, Oleg Negin
Acteurs :Vladimir Vdovichenkov, Elena Lyadova, Aleksey Serebryakov, Roman Madyanov
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 2h21
Genre : Drame
Date de sortie : 24 septembre 2014
Note : 4,5/5
Après le western krispolls de The Salvation, place au western vodka (avec un doigt de mythologie) de Leviathan. Le constat amer du réalisateur Andreï Zvyagintsev sur son pays fait froid dans le dos. Plus que les westerns héroïques de l’âge d’or du cinéma ou la parodie rassurante du western spaghetti, c’est du côté du cinéma désespéré et cru de Sam Peckinpah que l’on peut voir un lointain cousinage.
Synopsis : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Romka qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Sergeyich, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Sergeyich devient plus agressif…
Un western d’aujourd’hui
Le cinéma d’Andreï Zvyagintsev est l’un des plus enrichissants moralement et sur le plan cinématographique d’aujourd’hui. Depuis Le Retour, Lion d’or à Venise en 2003, il s’est imposé comme un auteur profond dans ses thématiques et sa façon de les aborder avec son scénariste . Ses deux films suivants se sont illustrés à Cannes : Le Bannissement a reçu un prix d’interprétation en 2007 (pour Konstantin Lavronenko) et Elena le Prix spécial du Jury à Un Certain Regard en 2011. Les attentes sont élevées ce soir pour ce qui restera comme l’un des films les plus éprouvants du Festival de Cannes 2014.
La lutte entre ceux qui veulent protéger leurs biens acquis en toute légitimité et leurs adversaires apparaît être à armes égales dans un premier temps. C’est un duel entre héros et méchants de western identifiés comme tels, presque manichéen. Les premiers ne peuvent que gagner par leur détermination sincère et leur positionnement positif dans le récit, les derniers, vils et adipeux, ne peuvent que perdre. Les codes du western sont là avec la famille écrasée par l’ennemi, la femme partagée entre deux hommes, le meilleur ami à la Doc Holiday qui sait comment agir et défendre ses proches, le saloon avec vodka qui coule à flots, les amitiés viriles, les trahisons, les paysages amples et fascinants et enfin les bandits de grand chemin avec un chef qui veut agrandir son terrain, soutenu par ses hommes de main sans identité ou des ‘Pinkerton’ qui représentent la loi officielle sans la respecter. Mais le grand nord russe d’aujourd’hui n’est pas le grand ouest d’hier. Le combat est perdu d’avance, la défaite ne peut être que définitive.
O Grande Russie, terre sans loi
Sans concession avec les pouvoirs qui se sont succédé (à l’exception d’un Boris Eltsine préservé car ‘ pas au niveau’), Andreï Zvyagintsev montre comment toute résistance aux instances dirigeantes sera matée avec ce sens de l’impunité qui appartient aux criminels d’état soutenus par leurs amis haut placés. Le portrait de Vladimir Poutine domine le bureau du maire Vadim Cheleviat (Roman Madianov impressionnant de veulerie roublarde ou minable selon sa position de force plus ou moins élevée). Jamais nommé directement, le nouveau tsar de toutes les Russies impose son image inquiétante et agit comme une menace permanente sur celui qui viendra s’entretenir avec son représentant. L’avocat chargé de la défense du propriétaire menacé semble apte à lutter. Il en a les moyens légaux, intellectuels et se montre prêt à utiliser les mêmes méthodes. S’il déconcerte son adversaire, il sous-estime gravement sa détermination de serpent venimeux et son impunité totale.
La justice n’existe plus en Russie, et les séquences de procès en sont une preuve flagrante. Le débit en mitraillettes de la juge lors de son délibéré est à l’image de son sens de la justice exécutoire. La noirceur est d’abord seulement factuelle avec une approche quasi documentaire de la façon doit la loi fonctionne et dont ses rouages vont écraser le faible. Ce combat n’est pas confiné à la Russie, ce combat n’est pas que celui d’un roman noir.
Une certaine idée de la fin du monde…
Zvyagintsev aborde quelque chose de plus universel, comme le souligne son titre évocateur. Le Leviathan est un monstre qui symbolise le chaos inéluctable et définitif d’un monde sans valeur. Kolia est comme un descendant de Job, victime du jeu de dieux qu’il prie ou maudit en vain. Le pire succède au pire et il est un martyr de ce combat inégal. Avec de telles références écrasantes, l’on pouvait craindre les symbolismes convenus voire le religieux de pacotille. Mais à l’image du prêtre rigoriste dans Jimmy’s hall de Ken Loach (critique), le pope orthodoxe est complice des pouvoirs oppresseurs et privatifs de liberté. Pour ceux qui y croient encore, Dieu est aux abonnés absents et ne peut rien pour tous les David écrasés par un Goliath revanchard.
Résumé
Andreï Zvyagintsev signe un brûlot sans concession avec de l’humour qui s’étiole lorsque le récit vire au récit épique et apocalyptique. Personne n’est préservé dans un semblant de démocratie qui ne respecte les droits de ceux qui ont l’oreille des plus haut dirigeants., le piétine et foule aux pieds toute croyance en la grandeur de l’Homme.