Critique : Ana mon amour

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Ana mon amour

Roumanie, Allemagne, France, 2017
Titre original : Ana mon amour
Réalisateur : Calin Peter Netzer
Scénario : Calin Peter Netzer, Cezar Paul Badescu et Iulia Lumanare, d’après un roman de Cezar Paul Badescu
Acteurs : Mircea Postelnicu, Diana Cavallioti, Carmen Tanase, Vasile Muraru
Distribution : Sophie Dulac Distribution
Durée : 2h07
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 21 juin 2017

Note : 3/5

La vie est dure en Roumanie. Le reflet qu’en donne la sélection de films qui arrivent jusque sur les écrans français laisse en effet supposer que tout n’est que misère affective et sociale dans ce pays d’Europe de l’Est. Car même si le cinéma roumain peut se réjouir ces dernières années d’une vitalité et d’une reconnaissance rarement atteintes auparavant, la somme de ces regards depuis l’intérieur sur une culture en fait peu connue en Occident a de quoi pousser à la dépression les spectateurs les plus fragiles. Dans cette morosité ambiante, des voix singulières ont toutefois su se distinguer, dont celle de Calin Peter Netzer, Ours d’or au Festival de Berlin en 2013 avec son film précédent Mère et fils. Comme ce fut déjà le cas dans ce dernier, il est avant tout question dans Ana mon amour de rapports conflictuels au quotidien, sous forme d’un réalisme émotionnel éprouvant. C’est donc grâce à son absence de complaisance romantique que le film réussit à nous affecter, malgré une forme narrative s’employant à brouiller les pistes temporelles, afin de mieux accentuer le lent effritement du lien amoureux entre les deux personnages principaux.

Synopsis : Toma et Ana se sont connus à la fac. Ils se mettent rapidement en couple, en dépit des réserves véhémentes de leurs parents respectifs. Pendant les premières années de leur relation, c’est surtout Toma qui prend soin de sa compagne, en proie à des crises d’angoisse et dépendante de tranquillisants. Quand Ana entame une psychothérapie après une grossesse difficile, elle commence doucement à remonter la pente. Il sera alors à Toma de consulter à son tour et de se remémorer les temps forts d’une liaison en dents de scie.

Affronter le grand dragon

La confrontation est immédiate dès les premières minutes de Ana mon amour. Sans aucune préparation, nous sommes propulsés en plein cœur d’une conversation à caractère philosophique entre Ana et Toma, avec l’établissement clair, au bout de cette séquence percutante, des lignes directives des enjeux du récit. Les deux étudiants s’aiment d’une façon joliment délicate, soit, mais les limites de cette communion des esprits et des corps deviennent très vite apparentes. Elle souffre de troubles psychiques assez graves, qu’elle n’arrive pas à gérer avec détermination ; lui est incapable de dégager une porte d’accès aux phobies multiples de sa compagne, ce qui génère d’emblée une sorte de frustration qui ira crescendo avec le temps, en parallèle d’une consommation exponentielle de cigarettes. La suite de leur aventure commune sera ponctuée de sérieux revers et quelques rares lueurs d’espoir. Le ton du film se situe à mille lieues d’un romantisme à l’eau de rose, tout en disposant de l’adresse nécessaire pour ne jamais sérieusement mettre en doute la complicité affective, voire la fidélité inébranlable contre vents et marées entre Ana et Tom. L’exploit de la mise en scène consiste ainsi en un choix pas forcément évident de tranches de vie, assemblées selon un semblant de logique sur lequel on reviendra sous peu, qui ne sont guère outrancièrement mélodramatiques, mais dont l’enchaînement traduit subtilement la sclérose de l’usure, qui attaque inlassablement ce couple à première vue mal assorti.

Thérapie de couple

Afin de traduire justement la notion de temps, qui aura tôt ou tard raison des premiers ébats passionnels, Calin Peter Netzer a opté pour un morcellement plutôt radical du récit. Au lieu d’une linéarité conventionnelle sur la durée, le réalisateur privilégie une forme d’association presque intuitive, qui se greffe vaguement sur des séances de psychanalyse au cours desquelles Toma vide son sac rempli de rancunes à l’égard de celle qu’il croyait aimer sans conditions pendant des années. Ce cadre formel assez approximatif ne garantit cependant pas un point de vue partial, faute de prise de position en faveur de l’un ou de l’autre de ces amants dont la première rencontre contenait d’ores et déjà la promesse douce-amère de leur rupture. Il s’agit davantage de reproduire un état d’esprit global, tiraillé entre les hauts et les bas de l’amour et de la haine, avec la coupe de cheveux de Mircea Postelnicu dans le rôle ambigu de Toma et quelques indices parcimonieux du contexte comme seules aides au classement dans le fil chronologique hautement perturbé. Cette approche sous forme de mosaïque éclatée souligne principalement la stérilité de la relation, sa nature narcissique qui se rebiffe dès que des opinions extérieures d’ordre familial, sans doute plus rationnelles qu’elle, la mettent en question. D’où un certain sentiment de frustration que nous éprouvons à notre tour, comme si l’expérience narrative – aussi téméraire soit-elle – s’était en quelque sort retournée contre elle-même, laissant à la fois les personnages et le public déboussolés face à tant de réalisme affectif, foncièrement hostile à toute conclusion tant soit peu heureuse.

Conclusion

Au plus tard depuis la Palme d’Or il y a dix ans à 4 mois 3 semaines 2 jours de Cristian Mungiu, le cinéma roumain est synonyme de drames sociaux austères et poignants. Le quatrième film réalisé par Calin Peter Netzer ne déroge point à l’impression tenace d’un désespoir profond qui taraude l’âme de son peuple, exprimé avec plus ou moins de virtuosité selon les histoires contées. Dans le cas présent, la structure narrative alambiquée ne s’avère pas toujours probante pour transmettre avec vigueur le désarroi grandissant des amoureux. Ce qui n’empêche pas Ana mon amour de dégager un redoutable réalisme romantique, grâce à sa conception nullement édulcorée du couple.

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