Critique : À la recherche de Vivian Maier

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a la recherche de vivian maier affÀ la recherche de Vivian Maier

États-Unis : 2014
Titre original : Finding Vivian Maier
Réalisateur : Charlie Siskel, John Maloof
Scénario : John Maloof
Acteurs : Vivian Maier, John Maloof
Distribution : Happiness Distribution
Durée : 1h24
Genre : Documentaire
Date de sortie : 2 juillet 2014

Note : 3/5

Et si Vivian Maier était l’une des artistes majeures du vingtième siècle ? Ce documentaire, qui n’est pas sans rappeler Sugar Man, documentaire sur le musicien Sixto Rodríguez, est une enquête rigoureuse sur la vie de celle qui fut nounou pour gagner sa vie et se permettre de vivre sa vocation secrète de photographe de rue.

Synopsis : L’incroyable histoire d’une mystérieuse inconnue, photographe reconnue aujourd’hui comme l’une des plus grandes Street Photographers du 20ème siècle. Née à New York, d’une mère française, avant de résider à Chicago, Vivian Maier était inséparable de son Rolleiflex et prit tout au long de son existence plus de 100 000 photographies sans jamais les montrer. Pour être libre d’exercer son art quand elle le voulait, Vivian Maier fut une nanny excentrique toute sa vie. Cachées dans un garde-meuble, c’est par hasard que John Maloof mit la main sur les photos de Vivian Maier en 2007. Depuis, il n’a cessé de chercher à mettre en lumière son travail et les expositions se multiplient partout dans le monde.

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Shooter Woman

C’est en 2007 que John Maloof découvre par hasard son existence en achetant un stock impressionnant de ses négatifs. Il écrivait alors un livre d’histoire autour de Chicago et s’il n’inclut finalement pas ces clichés dans l’ouvrage, il a un coup de foudre immédiat et comprend très vite qu’il vient de faire une trouvaille historique. Il va alors se lancer dans une quête pour réunir tout son travail. Si l’ampleur du travail est titanesque, entre recherches d’autres documents, stockage et développement des quelques 150 000 photos prises entre le début des années 1950 et la fin des années 80 (un travail d’ailleurs loin d’être achevé à ce jour) il va devoir l’accomplir lui-même car aucun organisme officiel ne va le soutenir. Pourtant les premiers retours publics lorsqu’il postera quelques photos sur un blog ou organisera une première exposition seront enthousiastes. Faire découvrir l’oeuvre de la photographe mais aussi les mystères de la femme vont devenir l’engagement de sa vie pour les années qui suivent. Hélas, il ne la localise que quelques semaines après sa mort et presque deux ans après avoir découvert son travail. Il se sent responsable, probablement en partie de ce rendez-vous manqué, de tout ce qu’il trouve et de lui donner sa place dans le panthéon de ceux qui ont su capter la vie sur pellicule.

Vivian Maier fait des autoportraits, des portraits d’inconnus qu’elle saisit au plus sans donner l’impression de les écraser même si elle s’approche au plus près d’eux, grâce à un dispositif ingénieux de son appareil Rolleiflex qui permet de prendre des photos de biais. Ses angles sont originaux, souvent en contre-plongée, ce qui donne une grandeur aux paysages urbains mais aussi à tous ceux dont elle a capté l’humanité pour l’éternité. Les experts et les amateurs saluent son sens du cadre, de l’arrière plan, de la lumière, de l’humour aussi qui ressort sur des angles de prises de vue et sur le choix de ses sujets. Elle est comparée aux plus talentueux (Diane Arbus, Robert Frank..) même si l’on ne peut que regretter que l’analyse ne soit pas plus complexe pour saisir au mieux sa place dans l’histoire de la photographie américaine et leurs liens et différences avec ces autres maîtres. Les enregistrements audio et les films 8mm révèlent encore une femme qui a tenté de capter la réalité sociale et politique de l’ère où elle a vécue.

John Maloof
John Maloof

Une femme paradoxale, audacieuse, mystérieuse, secrète

À voir toutes ces photos, la question de savoir pourquoi elle n’a jamais exposé. Car si quelqu’un prend des photos et que personne ne les voit, est-ce un écho de cette grand questionnement métaphysique : l’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? Pour étouffer son obsession de comprendre le mystère Vivian Maier, John Maloof va mener une enquête policière, proche de celle menée pour Sixto Rodriguez dans Sugar Man. Les réalisateurs (Maloof et Charlie Siskel, le producteur de Bowling for Columbine et de Religolo) ont préféré cette option de suspense à une approche artistique et académique, dans le sens noble du terme. C’est un tantinet regrettable tout de même, malgré les interventions d’expert qui restent un peu trop à la surface du style de la photographe.

Petit à petit, Maloof a retrouvé ceux qui l’ont le mieux connue, ses employeurs et leurs familles. Vivian Maier est décrite comme ‘paradoxale, audacieuse, mystérieuse, secrète’. Elle était solitaire, sans famille et sa mère était française, mais même la réalité de ses origines est remise en question. Les enfants dont elle s’est occupées étaient très attachés à elle, comme le confirment les nombreux témoignages qui dressent un portrait touchant de cette femme iconoclaste qui a vécu parmi eux, tout en restant à l’écart. Si elle est parfois restée longtemps dans certaines familles, elle ne s’est jamais vraiment intégrée. Pourtant à la fin de sa vie, ce sont trois de ‘ses’ enfants qui lui trouveront un logement et paieront ses loyers. D’année en année, de familles en familles, ses trésors la suivront et prendront une place exponentielle jusqu’à finir dans des garde-meubles qu’elle aura de plus en plus de mal à payer.

Le documentaire capte aussi sa part d’ombre, sa fascination pour les faits divers, qui la poussent notamment à cumuler des tonnes de journaux dont elle ne parvient pas à se défaire. L’une des enfants dont elle s’est occupée relève sa part de violence et reste manifestement traumatisée par ses brimades, ce que les réalisateurs n’éludent pas. Mais ce qui restera d’elle c’est son œuvre unique étalée sur près de quarante ans, sans le partager. Si John Maloof ne recule pas dans son obsession de savoir et de réunir l’ensemble de son travail, il s’interroge sur la validité de son envie de faire connaître une femme si secrète, sans affronter directement la réponse…

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Résumé

Vivian Maier est une artiste fascinante, ses photos sont parmi les plus belles sur la rue américaine et sur l’être humain. Elle maîtrise son noir et blanc avec un art du cadre et de la profondeur de champ. Malgré l’aspect passionnant de cette enquête, l’on ne peut que regretter que le documentaire ne soit pas plus artistique lui-même. John Maloof et Charlie Siskel ne sont pas Frederick Wiseman, pour ne citer que le plus illustre des exemples, même si leur film se suit avec un intérêt qui ne faiblit pas. Le génie dans ce film reste bien celui de Vivian Maier mais l’on ne peut que saluer l’engagement forcené de faire découvrir son oeuvre.

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